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Le Capricorne

 

Le Capricorne agit seul. C'est une île au milieu de la tempête, un cactus fièrement enraciné au milieu du désert. Cette dernière image mériterait de prendre valeur de symbole. En effet, outre l'intérêt des "capricorniens" pour les cactées, la résistance du cactus aux conditions extrêmes n'est plus à démontrer. Il utilise à bon escient la moindre ressource pour survivre, comme le Capricorne qui a l'art de faire un maximum de choses avec un minimum d'inergie. De s'accrocher ainsi à la vie, il devient facilement centenaire, autre caractéristique de ce dixième signe qui semble rajeunir avec les années - ou plutôt "jeunir", car enfant il paraissait déjà très, voire trop sérieux et plus mâture que son âge.

C'est le signe de 1'Administration et du Journal Officiel, dont les majuscules laissent présager la toute puissance ! L'impersonnalité - voire la dépersonnalisation -, le collectif, l'intérêt du groupe, les Droits de l'Homme, constituent ses référentiels et conditionnent son attitude. Notons au passage le contraste saisissant entre les valeurs toutes personnelles du signe opposé le Cancer : l'Homme en tant que principe abstrait s'oppose à l'homme en tant que réalité vivante.

L'inergie Capricorne très polarisée, c'est-à-dire insensible à la "vérité" des autres signes, conduit à une forme d'impérialisme technocratique dans lequel l'individu n'existe que par son numéro d'ordre. La puissance impersonnelle du Capricorne devient puissance de dépersonnalisation. Son besoin de valeurs sûres l'incite parfois à identifier sa destinée avec celle de sa famille ou de ses ancêtres. Être "le fils de" ou "la petite fille de" acquiert de l'importance à ses yeux. Enfant, il sera très marqué par l'influence - ou le manque d'influence - de son père. Adulte, il cherche des "re-pères" sociaux, perpétue les idéaux familiaux et moraux par l'éducation dispensée à ses descendants. A l'extrême, celle-ci sera ponctuée de "il faut que" dogmatiques dont les limites trop rigides ne permettent pas à l'enfant d'acquérir sa forme personnelle, mais le mouleront au contraire dans une forme sociale inadaptée à son ipséité.

Le plus difficile vient ensuite. Que ce soit par le biais des événements ou par une transformation intérieure, il découvre la vanité de toute certitude. Un temps encore, il s'accroche à son ancien mode de vie : tenir ensemble à force de volonté les quelques fils de son utilité sociale questionnée, les miettes de ses certitudes intellectuelles morcelées. Son attitude se rigidifie, devient tranchante. On le sent prêt à couler avec le navire. Mais les lois sont inexorables, et le Capricorne le sait bien ! Un jour l'édifice le plus superbe et le plus solide se brise et libère l'habitant de la maison. D'abord perdu et désorienté, il pourra chercher avidement à reconstruire dans les voies du passé... à moins qu'il n'apprécie la liberté nouvelle que lui confère le poids des responsabilités disparues.

Envolées les béquilles des organisations, la morale standardisée de la tradition toute puissante! Atlas fatigué dépose la Terre à ses pieds, relâche les épaules, gagne en souplesse... et constate avec surprise que, même sans lui, elle tourne encore !

Ayant renoncé à toute sécurité sociale, l'être marche seul, fermement décidé à découvrir la particularité de son organisation intérieure et les valeurs morales intimement siennes. Tout en restant profondément imprégné de la nécessité de la cohésion sociale, la conscience s'est émancipée des contraintes structurelles qui la font. Elle se prépare à expérimenter pleinement cette liberté individuelle au service du tout dans le signe suivant, le Verseau. Un nouveau sens est né : celui de la conscience d'une destinée individuelle.

Le Capricorne n'agit plus "parce qu'il le faut" ni parce que "cela se fait". S'il accepte de se comporter selon les règles sociales, c'est qu'il comprend qu'un jeu sans règles mène vite au désordre et à la mort.

Conscient de l'existence du plus grand tout et de sa nécessité, il apprend à en connaître les lois et, au besoin, à les modifier. C'est l'alpiniste à l'assaut de la montagne, le politique aux prises avec les règles du pouvoir, le yogi maître incontesté de son empire intérieur, le scientifique qui s'efforce de connaître tous les recoins de son domaine de recherche, le juriste soucieux de maîtriser et d'utiliser les lois sociales. Au moyen d'une concentration efficace, tous doivent prouver leur ténacité, leur force de volonté... et ne rien laisser au hasard. La chance n'entre pas dans les calculs du Capricorne, excepté sous forme de probabilités. Il planifie minutieusement chaque étape de son ascension avant de poursuivre sa marche. Il se réalise dans l'effort pour atteindre son but. Gagner, perdre, peu importe ! Un diablotin murmure déjà dans son for intérieur la vanité de toutes choses, que les règles auxquelles il adhère ne sont finalement que le canevas tout relatif d'un jeu. Il en arrive à ne rien prendre au sérieux tout en effectuant chaque tâche très sérieusement.

Cette voix, c'est celle de l'observateur qui est en lui. Il ne se contente plus d'observer prudemment le monde en essayant habilement de tirer son épingle du jeu, mais y participe avec recul. S'il fait quelque chose, ce n'est pas tellement pour réussir mais bien plutôt pour se prouver qu'il peut réussir quelque chose. Quelque soit l'excuse événementielle à l'autodiscipline (maîtrise du corps par le sport, carriérisme, études approfondies), il éprouve grande satisfaction à repousser toujours plus loin ses limites. Il met son orgueil dans sa capacité à s'élever au-dessus du troupeau humain ; en son for devenu intérieur, il se glorifie pour son autonomie et sa solitude.

Ici, l'être s'applique à lui-même les "il faut que" préconisés antérieurement à son entourage... et réalise par là même l'inanité des principes moraux hérités de son éducation. Après avoir répondu pour lui-même à la question : "Mes limites et mes règles sont-elles en accord avec ce que je suis au fond de moi, ou sont-elles le produit d'un endoctrinement aujourd'hui désuet ?" il apprend à se forger ses propres limites et à structurer sa vie dans le temps. Soumettons ici une autre question à Dame Licorne : "Est-il vraiment nécessaire de se forger des règles de conduite lorsque l'ego est en accord avec l'être essentiel ?"

Ainsi, l'autodiscipline, la maîtrise de soi par la conscientisation du geste, de la parole et du sentiment, deviennent les meilleurs garants de sa sécurité intérieure. Maître du jeu intérieur comme du jeu extérieur, il gravit patiemment les marches du podium de la Justice. Le Verbe se fait chair, l'Idéal s'incarne. Droit et Pouvoir fusionnent pour que règne la paix universelle.

Cet homme solitaire qui réfléchit et a de l'ambition doit concilier en lui deux tendances contradictoires. Épris de justice et de vérité, il veut bâtir un empire dirigé par des principes abstraits : ce peut être un mathématicien de génie (Henri Poincaré, Ramanujan) ou un homme politique qui édicte de nouvelles tables de la loi (Mao Tse Toung, Nixon). Il se sent à l'aise dans la rédaction de règles universelles et impersonnelles immédiatement applicables à la réalité alors que, paradoxalement, cette même réalité l'effraie un peu, car elle lui échappe dans son éternelle mouvance. C'est un homme de loi au sens le plus large du terme, qui voue sa vie à une mise en ordre des affaires du monde. Mais, toujours, il fonde sa sagesse sur l'expérience concrète et n'admet une vérité que lorsqu'elle a passé victorieusement les tests imposés par la rigueur de sa logique et l'expérimentation scientifique. Prudent à l'extrême, il laissera aux statistiques le soin de souligner l'exactitude d'un fait, à la loi celui de trancher un litige. Que ce soit en amour, en sciences, en ésotérisme, ou dans le monde des affaires, il a besoin de preuves tangibles. Il connaît trop la fascinante futilité des visions généralisatrices pour se laisser mener par elles.

 

© Luc Bigé