Uranus, la féconde insécurité

 

L’inergie "uranienne" vibre comme le diapason. Ses tremblements parfois paroxystiques contraignent l'être à découvrir sa juste note. Sous l'effet de ce dépoussiérage les masques tombent. Fi des fausses sécurités Saturniennes imbibées de morale, de tradition et de compétences routinières ! A bas la convivialité du Jupitérien qui n'est autre que soumission librement consentie à la pression sociale ! Non aux idées et valeurs "mercuro-vénusiennes" dont les qualités de brillance et d'éclat n'incombent qu'à l'orientation du rais de lumière qui les illumine ! Uranus bouleverse tout ce petit monde de l'ego confortablement installé dans son savoir-faire, son savoir-vivre et son savoir-tout-court (tout court, en effet !). Quelqu'un frappe à la porte du château fort. Doucement d'abord, puis avec insistance, avec violence enfin. Le for intérieur, trop occupé à ses petites affaires, ne réalise pas la présence insistante du visiteur. Sauf lorsque, le tremblement des murailles venu, l'alerte et la peur s'installent. Peur de perdre les avantages et les acquis patiemment amassés, peur de l'Inconnu qui attend derrière la porte de tous les refus, peur de perdre l'amour et la reconnaissance des châteaux forts du voisinage. En un mot, peur de la liberté !

La solitude issue d'une stagnation à l'étape Saturnienne de l'évolution est isolement dans la foule. C'est l'homme des villes anonyme parmi le plus grand nombre, dont seul le différencie un numéro de Sécurité Sociale. L'ascète en méditation au fond de son désert ou au sommet de la montagne se sent peut-être moins seul, tout occupé à la maîtrise de son corps et des monstres de son inconscient. Mais les monstruosités urbaines ne sont-elles pas une extériorisation matérielle de l'esprit des hommes contre lesquels se battre est tout aussi nécessaire ?

Uranus apprend ("a" privatif de prendre, pour apprendre il ne faut plus prendre mais être !) à l'Homme le meilleur moyen de combattre. L'ascèse Saturnienne produit la maîtrise, mais c'est le lâcher prise qui produit la libération. La solitude Saturnienne est roc au milieu de la tempête, mais c'est le renoncement au moi qui ouvre à deux battants les portes des royaumes de l'interdépendance. Hier il fallait se construire une identité dans les limites de l'acceptable et de l'inacceptable pour soi. C'est aujourd'hui une entrave.

En présence de Uranus, Neptune et Pluton l'individu "normal" sent plus ou moins confusément l'anormal roder autour de sa demeure. Vivre pleinement heureux et satisfait signifie oser se relier physiquement, émotionnellement ou mentalement à ces mystères jusqu'alors seulement pressentis. Vivre, c'est participer à la Vie du plus-grand-tout. Parfois ce dernier prend le visage de l'inconscient collectif et provoque de vastes bouleversements socio-politiques. D'autres fois il se confond avec les royaumes spirituels : sphère uranienne du génie individuel, univers Neptunien empli d'amour mystique et de compassion, monde impitoyable de l'occultiste ou du politique qui apprennent à manier l'inergie et le pouvoir. A cet égard le Verseau, les Poissons et le Scorpion, dont ces trois planètes possèdent la maîtrise, sont les plus collectifs des signes collectifs. Le Verseau aime être à tout le monde sans jamais se donner à personne ; le Poissons voudrait être tout partout, semblable à la goutte de rosée qui se fond dans l'Océan ; le Scorpion donne le meilleur de lui-même lorsqu'il peut combattre les ombres du collectif. Détectives, psychologues, hommes politiques, médecins tous cherchent à aseptiser les plaies cachées en soulevant l’oripeau de culture qui les protège. Si, par quelque nécessité évolutive, ces signes et ces planètes sont, ou deviennent, importantes dans le thème natal il ne faut pas manquer d'y voir là l'impérieuse nécessité d'un dépassement des petites affaires personnelles, quelque soit l'état de la demeure. L'heure n'est plus à peaufiner une image ou un caractère. Dans le lointain, l'Appel des cloches résonne avec insistance, elles susurrent aux oreilles encore endormies leur message d'espoir : "débarrasse-toi, pèlerin, de tes vieux habits sociaux, ose l'aventure".

L'aventure uranienne ?

Déroutante ! inattendue ! souvent initiée par une série d'événements imprévus. L'histoire du Vilain Petit Canard, tout noir, pas beau, maladroit, ridiculisé et, finalement, inadapté au monde des Canards qui, après avoir grandi, devient un superbe Cygne Blanc, résume à merveille le processus de déploiement des inergies uraniennes dans la personnalité. Toute l'histoire de l’éveil d'Uranus en l’Homme tient dans ce conte pour enfant. Uranus foudroie dit-on. En effet, il "fout droit". Avant 39-42 ans, l'opposition d’Uranus à sa position natale, l’être se sent étranger à ses compagnons, douloureusement différent de ses camarades. La vie normale lui parait terriblement contraignante. Insoumis par tempérament il ne comprend pas pourquoi il lui faut se plier à des règles valables pour tous alors que chaque individu est unique. Enfant il supporte difficilement la scolarité et préfère apprendre seul car son rythme n'est point celui de Saturne (patience et longueur de temps, enseigner c'est répéter). L'impulsion à connaître surgit de l'intérieur et non d'une autorité extérieure. S’il respecte son propre rythme il passe par des phases d'apparent désintérêt de tout, suivies de périodes d'extrême activité mentale pendant lesquelles il rattrape puis dépasse les savoirs traditionnels. Nul ne peut prévoir, pas même lui, à quel moment cette "impulsion à connaître" va communiquer à l'être à la fois clarté mentale et soif de savoir. Adolescent puis adulte il surprend toujours par ses goûts très personnels et non conventionnels. Effacé, il a adopté la solitude de sa différence ; bien que sans cesse très entouré il souffre de n'être point compris. L'opposition d'Uranus est pour lui un moment de grâce, une seconde naissance. Les dernières chaînes qui le retenaient encore à son passé sont rompues. Devenu cygne à part entière il déploie enfin ses ailes toutes neuves. L'oiseau blanc suit un chemin unique pour lui seul, sans guide ni disciple, sans chercher de références ni s'affirmer comme référence ; c'est une étincelle dans la nuit qui vient soudainement illuminer la sombre morosité du connu.

 

© Luc Bigé