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Faustienne fascination des mondes cachés.

"Mieux vaut régner en enfer que de servir au ciel!"

Milton - Le Paradis perdu

 

Faut-il s'en étonner ? Faust n'a pas d'équivalent dans le monde hellénique. Bien sur, Hadès, le dieu des enfers, marquait régulièrement de son sceau la foule des vivants, mais bien peu de héros se sont aventurés à explorer l'invisible royaume où coule le styx, cette rivière de poisons. Tous le combattirent, aucun, jamais, ne pactisa avec cette terrible divinité.

Le docteur Johann Faust naquit dans le sud de l'Allemagne en l'an de grâce 1488. Provocateur, intelligent, fasciné par les sciences occultes, il se fit rapidement une réputation de magicien. La mort le rejoignit en 1541, vieilli avant l'âge par les excès et la misère. Très vite une foule d'anecdotes amplifie les farces et les prodiges du personnage. Elle court la rumeur, elle s'amplifie la rumeur… elle devient finalement LE mythe moderne, cette fameuse rumeur. Elle le reste encore. Faust renie Dieu et se tourne résolument vers Méphistophélès avec qui il conclut un pacte signé de son sang : le pouvoir et la connaissance en échange de son âme. Les artistes ne s'y sont pas trompés. Nombreux furent les admirateurs de ce héros qui partit, a contrario de ceux de sa race, conquérir les enfers ! Des écrivains (Thomas Mann, Goethe, Christopher Marlowe), des cinéastes (Murnau, Méliès) des philosophes (Nietzsche, Valéry), des peintres (Delacroix) et des compositeurs (Berlioz) lui prêtèrent leurs talents, servirent son image. Mais cette image, chantée, prosée, dansée, filmée, dessinée, trouve ses plus efficaces artisans dans la grande aventure des sciences depuis la Renaissance jusqu'à nos jours. Une aventure ambiguë, une aventure périlleuse, qui mêle magie technologique et menace mortelle pour l'Esprit. Dans le langage courant ce dernier s'est d'ailleurs réduit à "l'esprit", à l'intellect.

L'Homme, l'autre nom de Faust, tourne donc son regard vers la terre, vers l'objet, vers la matière ; il tue ses dieux, oublie le panthéon gréco-romain, et décide enfin de contrarier la vieille malédiction biblique : dorénavant goûter aux fruits de l'arbre de la connaissance ne sera plus péché mortel.

Pour vivre heureux Faust accepte de mourir à son âme. Pour créer une humanité riche et forte l'homme moderne dût renoncer à ses dieux. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité l'homme ne se contente plus de théories révélées ni de spéculations philosophiques : il "met la main à la pâte". Il questionne, non plus les pythies ni les gardiens de l'orthodoxie, mais l'objet dans sa mystérieuse évidence. Pas après pas celui-ci lui révèle ses secrets…et sa puissance ! Depuis le XVe siècle, date de naissance du Dr. Faust, la genèse fut longue et laborieuse mais aujourd'hui le mythe devient réalité. Le cœur de la matière biologique libère ses secrets grâce aux prouesses du génie génétique, les physiciens de l'atome percent ce noyau que les Grecs jugeaient ultime. Ces deux disciplines scientifiques, la biologie moléculaire et la physique atomique, flirtent aujourd'hui, plus que toute autre, avec l'insondable mystère lové au cœur de l'objet.

Faust, le fascinant, fait peur. Les Grecs l'ignorèrent, les religions inventèrent à l'encontre des sorciers et sorcières, ces autres figures faustiennes, les pires atrocités. Ces personnages possédaient ou étaient en quête d'un savoir interdit, interdit car compromettant l'hégémonie divine sur les esprits. En effet, que serait Dieu sans miracles ? Pire, que serait-il si les hommes eux-mêmes commençaient à opérer des miracles ? Dans ces domaines, pour la première fois de sa longue histoire, l'homme vaque sans "garde-fous", littéralement. Il doit inventer ses propres comités d'éthique (en génétique) et se définir des règles de bonne conduite internationale (les traités sur la non prolifération nucléaire) pour remplacer les commandements divins devenus inopérants. Faust signe un pacte avec le diable. Entre eux s'établit une relation contractuelle qui engage les deux parties. Seul un homme libre, un homme qui assume pleinement la responsabilité de la liberté et qui n'a d'autre mentor que lui-même, a l'opportunité de signer un tel engagement. Qui est-il et que va-t-il chercher ce héros solitaire qui a courageusement rompu d'avec ses racines, sa famille, sa culture et sa tradition ? Faust vient d'un mot allemand qui désigne le poing fermé de la main, symbole vivant d'une énergie concentrée, d'une force en puissance. Quant à l'expression "dormir à poings fermés" elle renvoie à l'invisibilité, à la profondeur, à l'intense activité onirique qui se cache derrière le calme rideau des apparences. Dans le champ de cohérence matériel ce sera l'intense activité atomique et métabolique qui se cachent respectivement derrière la quiétude trompeuse de l'objet et de la cellule. Faust est donc cette force en puissance (le poing), infiniment concentrée mais d'apparence sans surprise (qui "dort"), pactisant avec une figure de l'Invisible. Quel est-il, cet invisible ? Pluton est son nom. Dans la mythologie romaine il signifie… "le riche". Lorsque la barrière de la peur, de la diabolisation, est franchie, lorsque les garde-fous (le pacte contractuel) sont solidement établis, Faust atteint son but. René Clair ne s'y est pas trompé en mettant en scène dans La Beauté du Diable un Faust alchimiste connaissant le secret de la transmutation du vil plomb en or noble. L'or symbolise le Soleil, Dieu. Faust, en répudiant les dieux extérieurs, découvre le flamboiement d'un dieu intérieur.

Pour la première fois les scientifiques touchent au monde des causes. La médecine, qui se contentait jusqu'alors d'onguents pour soigner les disfonctionnements biochimiques et de scalpels sophistiqués pour réparer les désordres physiologiques, va enfin pouvoir - et le mot prend ici toute sa portée ! - supprimer non plus le symptôme mais la maladie en remodelant l'information qui en est à l'origine. La physique nucléaire, moderne alchimie, opère des transmutations… qui s'achèvent souvent sur le plomb. Créatrice de vie et créatrice de matière la science faustienne fait peur. Légitimement car l'énergie, cette inconnue, effraie. Pourtant, si le mythe abonde en mises en garde, l'objectif qu'il propose devrait engager l'homme libre à plus de témérité. Au fil des siècles l'image de l'apprenti sorcier s'est peu à peu modifiée. Les premiers serviteurs du héros, tel Christopher Marlowe, se sentirent obligés de le condamner : dès lors que l'on prend au sérieux le pacte avec le démon, l'histoire de Faust est l'histoire d'un pêcheur entraîné par le poids d'une faute inexpiable. Quelques siècles plus tard le romantisme transforme la signification du drame : le pacte avec le diable, c'est l'engagement téméraire avec les forces du mal, qui, fatalement, corrompent un jour le héros. Il ne s'agit plus de culpabilité ou de jugement moral mais d'une lutte sans merci contre des forces grandioses qui aliénèrent la liberté de ceux qui prétendirent les conquérir. Après la peur religieuse de la damnation, après l'apprenti sorcier prisonnier de sa folie, se dessine aujourd'hui le troisième et dernier acte de cette aventure sans précédent. Faust a enfin touché au but puisqu'il connaît, ou peu s'en faut, la structure ultime de son corps et du corps de la terre. La "richesse" frappe à sa porte. Dans le champ de cohérence matériel ce sont des promesses d'immortalité et d'abondance équilibrées, dans le champ de cohérence psychologique, par la sagesse octroyée à celui qui a su combattre victorieusement ses démons intérieurs pour atteindre à la plénitude d'être. Pour en savoir plus (lien avec la fiche conférence sur Faust)

© Luc Bigé

 

 

 

 


 

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