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Présence du Mythe


 Orphée
Jadis l'univers mythologique réglait les gestes du quotidien, aujourd'hui la réalité quotidienne dépasse les mythes les plus osés. Dédale rêvait de donner vie aux statues qu'il venait d'inventer et "de leur ouvrir les yeux", les ingénieurs du XXe siècle savent construire des machines qui parlent, regardent, touchent, marchent, calculent et entendent. Tout se passe comme si les grands mythes qui habitaient l'esprit et le cœur des pères de nos sociétés démocratiques vivaient encore, non plus dans l'imaginaire et dans la croyance populaire, mais dans les sciences.

 

Proposition paradoxale ?

S'est-on jamais demandé quels étaient les présupposés de la recherche scientifique ? Pourquoi s'orienter dans telle direction plutôt que telle autre ? Pourquoi aller sur la Lune plutôt que de s'inquiéter de la faim dans le monde ? Une des raisons fut certainement le hasard ou, plus exactement, une sorte de darwinisme de la découverte tournant autour du couple "invention / contexte social". Peut-être existe-t-il une cause plus profonde, plus inconsciente aussi, qui se nourrit de l'imaginaire collectif et, notamment, des mythes, ces grands rêves de l'humanité.

Des nombreuses civilisations explorées par les ethnologues, celle de la Grèce antique arbore une caractéristique unique en son genre : la mythologie classique ignore l'irrationnel terrifiant. Ailleurs, des esprits malins hantaient villages et villageois. Beaucoup, pour s'en débarrasser ou obtenir leurs grâces, se soumirent à de sanglants sacrifices humains. Quelles autres villes que celles du Péloponnèse eurent assez de sérénité pour peupler la nature de nymphes séduisantes et volages ? Quels autres mortels négociaient avec leur dieu lorsque celui-ci avait, par ruse, fécondé une femme de la tribu ? Ils ne craignaient pas l'envoûtement ni ne révéraient l'Immaculée Conception !

Cette forme de pensée, rationnelle jusqu'à la lisière du paradoxe, combative jusqu'à la déraison, a laissé de profondes empreintes dans notre manière d'agir sur le monde. Les applications privilégiées de cette pensée, ce sont les sciences et les techniques. Alors la question est celle-ci : les sciences, à leur insu, ne chercheraient-elles pas à matérialiser l'imaginaire de nos ancêtres gréco-romains ? Inversement, cet imaginaire ne nous renseigne-t-il pas sur le sens psychologique et spirituel qui se love au cœur des découvertes scientifiques et des inventions techniques ?

Si la question peut-être sérieuse, les éléments de réponse proposés ici sont de simples pierres posées ça et là dans le jardin bien ordonné, dit justement "à la française", de la rationalité.

Plus généralement encore, chaque mythe véhicule une "grande idée" qui peut s'exprimer sur les différents niveaux de réalité en prenant des formes différentes. Ces "niveaux de réalité" ce sont les plans de l'action, la vie sensible (émotionnelle), la vie intellectuelle (mentale) et l'existence spirituelle. Si on se fie aux apparences on ne voit que des éléments épars non reliés, indépendants, parfois inconciliables. Si on perçoit le sens qu'exprime le mythe on comprend alors que derrière toutes ces apparences se déroule un seul et même processus exprimé par voie symbolique avec les matériaux du bord (c'est-à-dire ceux qui sont disponibles au niveau d'organisation considéré). C'est cette capacité de dissoudre les barrières catégorielles en réunissant les différents niveaux d'organisation autour d'une même signification que nous appelons la transversalité du mythe.

© Luc Bigé

 


Pensee symbolique - extrait 1
Du connaître de nos sens au connaître du sens
Le poisson dans son bocal, ou dans son océan, trouve sans doute normal de virevolter sous l'eau au sein des limites imposées par le verre de l'aquarium, ou par le cercle infranchissable de son biotope. Pourtant, un jour, un premier poisson a décidé de mettre la nageoire hors de l'eau; contre toute attente cette audacieuse aventure loin de son territoire de prédilection allait poser les fondations d'une floraison d'espèces nouvelles adaptées aux étranges et difficiles conditions terrestres - du point de vue du poisson, bien entendu! Ce saut qualitatif de l'élément eau à l'élément air est un grand mystère. Comment la théorie de la sélection naturelle, qui postule la survie des mieux adaptés à l'environnement, pourrait-elle expliquer ce saut qualitatif qui n'a à priori aucun avantage adaptatif : les poissons sont parfaitement adaptés à leur milieu, si celui-ci se transforme trop, ils disparaissent. De plus l'absence de fossiles attestant l'existence passée d'une chaîne d'animaux intermédiaires entre les poissons et les reptiles, va à l'encontre de l'idée d'une évolution progressive des espèces par simple adaptation mécanique à leur environnement. Avant l'avènement de l'idéologie mécaniste une autre croyance faisait florès : la toute puissance de la création Divine. Quelque soit le sens attribué à ce terme la théorie soutient la présence d'une puissance non matérielle capable d'agir directement sur les organismes vivants pour les transformer, transformer leur forme et leur mode de vie. Une telle position n'est plus soutenable aujourd'hui car elle n'est pas susceptible de vérification expérimentale. Nul ne sait comment enfermer la grâce divine dans une éprouvette pour la faire réagir avec un poisson rouge !
... et pourtant l'homme existe.
Ces deux théories de l'avènement de l'homme sont aujourd'hui invérifiables directement et sujettes à caution : le Darwinisme est inobservable car l'évolution s'étend sur de trop longues périodes et la théorie de la création divine ne se plie pas aux impératifs méthodologiques de la science moderne. Le poisson a pourtant réussit son grand saut, sans savoir comment. En cette fin de XX ème siècle l'homme se retrouve dans une situation comparable à celle de son lointain ancêtre : les conditions de son milieu deviennent asphyxiantes; les ressources énergétiques par habitant sont limitées, l'aventure du savoir scientifique découvre les limites d'un certain mode de pensée, il n'existe plus d'espace terrestre à conquérir. De plus la technologie crée autour des humains une bulle de méta-réalité (publicité, télévision, walkman, réalité virtuelle simulée sur ordinateur,...) qui l'engourdit dans le doux cocon du rêve programmé. C'est l'annonce symbolique de la mue... ou de la mort. Mais toute mue est nécessairement une mort à l'ancien. Depuis que l'humanité a envoyé quelques spécimens de son espèce hors de son bocal, sur la lune, elle a peut-être annoncé symboliquement sa volonté d'aller vers une espèce nouvelle qui saura porter un autre regard sur l'univers. Un regard qui ne nie en rien les extraordinaires acquis de l'ancienne civilisation, un regard qui voit les choses d'en haut, globalement, avec le recul des 380 000 km qui séparent la Terre de son satellite. Saurons nous faire aussi bien que le premier poisson qui, un jour lointain, décida d'aller s'étendre sur la plage pour prendre son premier bain de soleil ? La seule différence d'avec ce vieux frère, c'est que pour la première fois dans l'histoire de la vie nous pouvons participer consciemment au processus de mue. Ainsi un troisième facteur vient s'adjoindre à la sélection naturelle et à une éventuelle pression des cieux, un facteur catalytique susceptible d'accélérer considérablement la transformation de l'espèce... vers où ?.

Pensee symbolique - extrait 2
Quatre modes de connaissance
La connaissance analytique s'efforce de découvrir l'identité objective du monde concret. Elle est trop connue pour qu'il soit nécessaire de la détailler plus longuement.
La connaissance "globale" dégage les lois qui lient ensemble des matériaux concrets. Les trois opérations mathématiques les plus simples addition, multiplication et division, n'ont d'autre but que de formaliser ces relations. C'est le domaine de l'analyse systémique, avec ses boucles de rétroaction, celui des statisticiens occupés à modéliser l'évolution de la population de castors en fonction des variations climatiques et du nombre d'individus de chaque sexe, etc.
Il reste les deux autres modalités. Toutes deux traitent d'une réalité abstraite, non matérielle et non physiquement interactive. Ce monde, celui de la signification, là où s'originent les grands mythes de l'humanité, là où les êtres inspirés, qu'ils soient scientifiques, poètes ou mystiques, vont puiser leurs visions, nous l'avons appelé ailleurs le monde des inergies par analogie avec le monde des énergies qui s'étend sous l'axe horizontal pour construire le contenu des deux premiers quadrants.
Par exemple, penser l'homme de manière symbolique revient à considérer que la forme de son corps, de ses organes, l'organisation des systèmes sanguins, nerveux et hormonaux par exemple, expriment du sens. De ce point de vue la réponse à la question "qu'est-ce que l'homme ?" serait toute entière révélé par sa forme. Il suffirait d'apprendre à la lire, exactement comme la science a appris à lire le monde objectif. Mais elle le fit d'une manière analytique (quadrant 1) en scrutant finement la composition chimique de la matière, en analysant la substance sans se préoccuper de la forme. Car la science s'est bien gardée d'investiguer la compréhension des formes car cela suppose l'introduction d'une fonction organisatrice, d'une force formatrice, trop proche de la théorie de la grâce divine contre laquelle elle s'est longtemps battue.
La pensée analytique objective l'homme. Son idéal est le robot.
La pensée globale socialise l'homme. Son idéal est le citoyen
La pensée symbolique donne sens à la vie humaine. Son idéal est le sage
La pensée transcendantale (cf.infra) intègre l'homme dans l'univers, son idéal est l'initié
La première observe attentivement son objet d'étude pour le re-produire
La seconde mathématise les relations et tente de prévoir l'évolution desensembles
La troisième perçoit ce qui est derrière la forme pour révéler son sens caché.
La quatrième transforme l'être afin de le relier plus efficacement aux autres niveaux de réalité.
Il sera par conséquent inutile de juger d'une forme de pensée à l'aune des critères d'une autre. Une telle attitude ne conduit qu'à de fâcheuses mésententes, à une guerre idéologique en vie d'une " victoire finale " de la conception dominante, mais n'est certes pas un questionnement pour l'acquisition de la connaissance, dans toutes les acceptations de ce terme.



Pensee symbolique - extrait 3

Nous avons au moins quatre manières d'aborder le réel, ce grand mystère. Celles-ci représentent mutuellement les une pour les autres un scandale car les présupposés culturels les plus fortement ancrés sont à chaque fois questionnés.

La connaissance scientifique positiviste ne reconnaît qu'un univers objectif et quantifiable. En raison de la loi de conservation de certaines valeurs physiques comme l'énergie, l'espace et le temps, les phénomènes dignes d'attention sont reproductibles. Au sein de ce monde mesurable et déterministe régi par des lois l'homme s'affirme comme un être-a-part, fondamentalement libre, qui commande à la nature. Il a ce droit car cette nature est, à ses yeux, comme un immense jeu de lego : il suffit de savoir comment agencer et déplacer les briques pour construire un paradis terrestre sans l'aide de dieu. On n'a pas assez réfléchi, dans le monde des sciences, aux présupposés judéo-chrétiens qui alimentent la démarche scientifique supposée, pourtant, libérée de tous les dogmes idéologiques, notamment les idées chrétienne de liberté, de responsabilité et de travail ; la conception de l'homme comme un être élu par Dieu et le désir messianique de recréer le Paradis perdu.

La connaissance écologique ou systémique vient donner un premier coup de pied dans la fourmilière de ces présupposés qui guident encore la conduite de nos sociétés. La nature se révèle non comme un jeu de lego où l'homme serait le maçon, mais bien plutôt comme un jardin vivant qu rythme des saisons, dans l'incertitude du lendemain. Ce qui importe à présent ce sont les associations. Associations d'espèces végétales, associations interrègnes entre les animaux, les plantes et les bactéries de sorte que la coopération prime sur la compétitivité. Les processus sont plus importants que les objets eux-mêmes : putréfaction, recyclage des déchets et de l'oxygène, cycles biologiques afin de créer des molécules complexes. Au sein de ce monde l'homme n'est plus un être-a-part choisi par Dieu (où, dans une perspective athée, distingué du reste du monde par son intelligence et sa conscience) mais une partie active de ce jardin. Il n'a aucune raison objective d'en être le jardinier, à moins, bien sur, de croire encore à sa surnaturalité. Si l'univers est toujours régi par des lois déterministe il devient, par contre, impossible de prévoir son comportement.. Le chaos et le désordre deviennent des réalités nouvelles dont il faut tenir compte en permanence. L'homme participe à l'économie de l'univers, non pour des raisons idéologiques, mais parce qu'il comprend qu'il n'en est qu'une toute partie à la fois essentielle et nullissime. Comme toutes les parties du reste. N'est-il pas étrange qu'il ait fallu attendre quatre siècles de recherche scientifique pour commencer à s'interroger sérieusement sur l'écoulement de l'eau dans la rivière ? N'est-il pas étrange que, exactement au moment où la science du chaos apparaît la civilisation semble elle aussi en proie au même symptôme ? Qu'y a-t-il de changé si ce n'est notre regard sur notre réalité... cet insondable mystère ?

La pensée symbolique ne reconnaît qu'un univers de forces psychiques, où " inergies ", porteuses de sens. Pour elle il n'y a ni lois physiques, ni chaos mais un ordre signifiant qui envoie sans cesse des messages à ceux qui savent les recevoir et les décoder. C'est le monde du rêve opposé au monde de veille, à peu près un tiers de notre vie. Dans ce contexte l'homme redevient un être-à-part car il est le seul à pouvoir décoder des significations et construire des systèmes de valeurs autour de ses expériences. La croyance que l'univers parle sans cesse à l'être humain est évidemment scandaleuse pour les adeptes de la pensée positiviste et écologique : ceux là ne rêvent pas, ni ne lisent de poésie.

La connaissance opérative enfin offre au penseur un nouveau scandale à se mettre sous la dent car elle affirme que l'être humain peut agir et transformer le contenu de l'univers des forces psychiques. Les kabbalistes se considèrent capables d'agir sur la nature de Dieu. Ernesto de Martino, ethnologue italien étudiant la magie des peuples primitifs, a bien analysé la situation de l'observateur occidental au prise avec ses présupposés de premier quadrant :

" L'application de la méthode naturaliste aux phénomènes paranormaux, et la tentative de les prouver sur le plan où se meut la science expérimentale de la nature, révèle donc, à un certain point ses limites ou, plus exactement, une contradiction interne : pour les prouver, il faut les considérer comme s'ils étaient des phénomènes donnés, alors que leur caractéristique est justement de se trouver encore immédiatement inclus dans la sphère de la décision humaine et, par conséquent, de n'avoir pas de loi ou d'avoir plusieurs lois selon la libre démiurgie des représentations, des sentiments et des intentions de l'homme. La science expérimentale de la nature s'est constituée en prenant pour idéal une nature épurée de toutes les " projections ", et cela non seulement dans la pure croyance, mais bien dans la réalité. Il en résulte que la simple possibilité de phénomènes paranormaux répugne intimement à l'histoire interne du mouvement scientifique moderne : pour accepter cette possibilité, ou il doit nier ses origines historiques en instituant une sorte de cryptogamie avec la magie, ou bien il doit dépasser son histoire propre pour essayer d'atteindre à un point de vue plus élevé, à une vision plus compréhensive1. "

1 Ernesto de Martino Le Monde Magique p 67-68, les empêcheurs de penser en rond (1999).

 

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